lundi 6 juillet 2009

Avec cette plume

Avec cette plume donc il poursuit l’inventaire de ce qui ne lui reste plus à dire.

Robert Pinget, Du nerf, éditions de Minuit, 1990.

dimanche 5 juillet 2009

La question de savoir si, en fin de compte, l’apathie des uns ne deviendra pas la violence des autres



Dans la ville binaire, deux mondes se côtoient sans se voir, et chaque homme est amené à sauter de l’un à l’autre sans transition. Il s’ensuit que tout citadin vit la réalité sociale comme intermittente et heurtée. Cette discontinuité totale de l’expérience suburbaine se retrouve dans ses comportements. Habituellement, l’errant mécanisé fait montre d’une soumission extrême à son environnement (il a intégré depuis son plus jeune âge ses codes d’action et de parole). Cependant, cette passivité dans laquelle il se laisse vivre la plupart du temps peut laisser transpercer des accès soudains d’activité intense. Mais, spoliée de toute nuance, celle-ci ne peut plus se manifester alors que sur le mode de la réaction brutale. Comme l’avait déjà signalé [Georg] Simmel dans son article « La grande ville et la vie de l’esprit », l’animal urbain passe ainsi sans aucune gradation de l’assujettissement à l’agression, de l’anesthésie à l’hyperesthésie. Soumis à une stimulation intense, ses nerfs réagissent par un balancement extrême entre hypersensibilité et insensibilisation. Ses excitations externes aiguisent sa sensibilité et éveillent une passion pour le nouveau ; mais, en même temps, elles produisent aussi chez lui, en raison de leur flux ininterrompu, un mécanisme de défense qui s’achève généralement dans une attitude de réserve. Docile et blasé, il devient sans raison tout à coup agité voire violent, puis retombe tout aussi brusquement et irrationnellement dans l’apathie la plus complète. Il est en proie à la logique de ce que nous nommons l’alternative radicale.

Bruce Bégout, Lieu commun. Le motel américain, éditions Allia, 2003.